Copyright : ©2017 – Evelyne Girardon
Cette page, au fur et à mesure des éditions de documents et des recherches, apportera les réflexions et définitions concernant ce vaste sujet.
Les textes de la tradition orale sont saturés de symboles qui demandent des lectures plurielles et cela leur permet de donner l’intuition et l’attente d’un contenu symbolique à ceux qui en sont nourris. Ils comprendront peu à peu que les textes disent plus qu’ils n’en ont l’air et qu’ils demandent une interprétation et pas seulement une élucidation référentielle. Plus qu’à communiquer, ils apprendront à penser. Penser, c’est plus que percevoir ou s’émouvoir, c’est interpréter les signes de façon personnelle. (C H R I S T I A N – M O N T E L L E : Littérature orale et maîtrise de la langue)
« Il arrive qu’une chanson se fasse étrange et merveilleuse, comme les choses longtemps travaillées par la mer, se polisse à l’usage, se décante au contact des générations successives, atteigne à un rare degré de densité et de perfection. » Lanza Del Vasto, Chansonnier populaire.
« Une tradition véritable n’est pas le témoignage d’un passé révolu, c’est une force vivante qui anime et informe le présent. En ce sens, le paradoxe est vrai qui affirme que tout ce qui n’est pas tradition est plagia… Bien loin d’impliquer la répétition de ce qui fut, la tradition suppose la réalité de ce qui dure. Elle apparaît comme un bien de famille, un héritage qu’on reçoit sous condition de le faire fructifier avant de le transmettre à sa descendance. » Igor STRAWINSKY, Poétique musicale, 1952.
La chanson traditionnelle francophone est aussi une forme de poésie. Et comme toute poésie, elle porte l’empreinte du milieu et de la période où elle a été élaborée. Cette empreinte se manifeste dans les formules, les tournures et le vocabulaire. Aurait-on l’idée de reprocher à François Villon d’écrire dans la langue d’un étudiant parisien du XVe siècle ? Au-delà de la forme, la thématique est éternelle, les émois et les tourments demeurent identiques. Et puis, il y a la musique. Connait-on, dans la chanson française, de plus parfaite adéquation entre langue et mélodie que celle que nous propose la chanson traditionnelle ? (Jean-François Dutertre, extrait de sa critique du double CD « Répertoire » Évelyne Girardon)
Une réponse à la question : Comment faire évoluer la musique traditionnelle ? :
« Est-ce qu’on ne ferait pas mieux de la laisser comme elle est afin de nous garder une chance d’évoluer à son contact ? » John Wright
« Il y a eu, il y a même encore, malgré les désordres qu’apporte la civilisation, de charmants petits peuples qui apprirent la musique aussi simplement qu’on apprend à respirer. Leur conservatoire c’est : le rythme éternel de la mer, le vent dans les feuilles, et mille petits bruits qu’ils écoutèrent avec soin, sans jamais regarder dans d’arbitraires traités. Leurs traditions n’existent que dans de très vieilles chansons, mêlées de danses, où chacun, siècle sur siècle, apporte sa respectueuse contribution. Cependant, la musique Javanaise observe un contrepoint auprès duquel celui de Palestrina n’est qu’un jeu d’enfant. Et si on l’écoute, sans parti pris européen, le charme de leur « percussion » , on est bien obligé de constater que la nôtre’est qu’un bruit barbare de cirque forain. »
Claude Debussy, Du goût, in S.I.M, 15 février 1913. Cité par André Schaeffner dans « Origine des instruments de musique »
À propos de l’interprétation de la chanson traditionnelle aujourd’hui – Jean François Dutertre
« Chacun sait que la mélodie populaire est presque toujours une période brève que l‘éxécutant reprend aussi souvent qu’il le faut pour arriver au bout d’un texte. Mais à chaque reprise, l’interprétation populaire fait subir au rythme, à la ligne mélodique, voire à l’architecture, des altérations plus ou moins sensibles qu’on peut appeler variations. L‘étude de ces variations, à peine commencée, est le problème peut-être le plus ardu, mais certainement le plus important du folklore musical : nous touchons là aux sources mêmes de la création populaire. Il paraît probable, en effet, et certaines constatations en témoignent, que les “variations” dues à quelque bon chanteur passent parfois dans l’usage d’une collectivité, se fixent, et donnent ainsi naissance à des types mélodiques nouveaux par la transformation des anciens. Rien de plus naturel : les éléments de la musique supposés donnés par la physique, la cristallisation d’un style populaire implique le jeu de préférences collectives. Du point de vue scientifique, il faut donc tenir pour une erreur l’habitude d’enregistrer une ou deux fois seulement les mélodies populaires sous prétexte qu’elles se répètent. Pour bien faire, il faudrait toujours laisser l’informateur chanter ou jouer aussi longtemps qu’il l’estime nécessaire ».
Constantin Brailoiu – Problèmes d’ethnomusicologie
On a utilisé plusieurs appellations pour désigner la chanson folklorique : la poésie orale, l’ethnomusicologie, la chanson traditionnelle, la chanson ethnique, la chanson nationale, la ballade, la chanson populaire, la chanson de tradition orale. La plupart de ces appellations touchent un aspect de la chanson sans toujours la distinguer pleinement.
L’expression poésie orale désigne toute poésie chantée. Les chants folkloriques et ceux des artistes sont des poésies orales. Poésie orale a donc une acceptation trop étendue pour définir la chanson folklorique.
L’ethnomusicologie est une science qui étudie les faits musicaux de caractère traditionnel des divers groupes ethniques. Elle comprend aussi bien le chant de tradition orale que la musique instrumentale, son champ d’étude est donc trop vaste pour définir la chanson de tradition orale.
La chanson traditionnelle désigne une chanson transmise de génération en génération aussi bien oralement que par écrit, aussi bien populaire que littéraire, c’est pourquoi il est plus juste de spécifier en parlant de la chanson de tradition orale. Cette dernière expression, avec celle de chanson folklorique, est plus convenable.
La formule chanson populaire présente aussi une ambiguïté.
En 1852, le Comité de la langue, de l’histoire et des arts de la France parle d’un Recueil général des poésies populaires de la France pour élever un « grand et complet monument […] au génie anonyme et poétique du peuple1 ». Les douze académiciens, alors membres de la section de philologie du Comité entendaient bien par poésies populaires le sens de poésies issues du peuple. C’est le sens qui a prévalu chez les nombreux spécialistes qui ont par la suite publié plus de cinq cents recueils de chansons populaires des différents pays francophones et des provinces de France. Le mot populaire s’emploie aussi pour qualifier une chanson à succès. Ainsi un chanteur populaire n’est pas nécessairement un témoin de la tradition orale mais un artiste aimé du public qui interprète des chants littéraires ou folkloriques.
Autrefois on rencontrait chanson nationale . Même Honoré de Balzac dans Pierrette (1840) emploie musique nationale pour désigner une chanson folklorique. Il est indéniable que depuis le XIXe siècle ces poésies orales ont été chantées par les groupements nationalistes et régionalistes. Aussi quand on sent notre culture française menacée, on entonne naturellement des chants de tradition orale. Au XIXe siècle, l’on croyait qu’une chanson recueillie dans une région était née dans cette même région ; c’est tout à fait erroné. Les enquêtes nous ont révélé qu’une chanson peut être recueillie dans plusieurs régions. (…)
En littérature écrite, un poème est généralement l’œuvre d’un auteur connu mais en littérature orale il n’y a que des chansons anonymes. L’analyse d’un poème lettré peut se faire avec beaucoup de sûreté puisque sont connus le milieu, l’époque et les exigences poétiques de l’auteur. Mais du fait que les chansons orales sont anonymes nous ne pouvons connaître leurs données spatio-temporelles. Un bon document d’enquête, bien entendu, est daté et localisé au moment de la cueillette mais cette datation et localisation ne sont pas celles de la composition mais de l’enquête. Comme nous ne savons rien des circonstances qui ont inspiré les chansons folkloriques, ni des exigences esthétiques qui ont présidé à leur création, comment peut-on prétendre avec certitude en comprendre le sens? Il existe cependant des méthodes d’analyse qui permettent, sous toutes réserves, d’en saisir les sens possibles, en utilisant des données qui suppléent aux dimensions spatio- temporelles ou qui les font découvrir. (…)
La distinction entre la chanson savante et la chanson folklorique était déjà admise au XVIe siècle ; Montaigne constatait l’existence de deux poésies, l’une « populaire et purement naturelle » et l’autre « parfaite selon l’art » pour affirmer que « la poésie médiocre, qui s’arrête entre deux, est dédaignée, sans honneur et sans prix ». Cette opposition fut redécouverte au XIXe siècle par les écrivains romantiques.
C’est dans le milieu du 18e siècle que, dans de nombreux pays de l’Europe de l’ouest, on se passionne pour les chansons traditionnelles, plutôt appelées à l’époque, « poésie naturelle », « poésie historique », ou « ancienne chanson historique ».
1852 : Un décret impérial rend droit de cité aux « langues premières» des pays de France et met le ministre Hippolyte Fortoul en charge d’organiser un collectage des poésies populaires et vieilles chansons encore vivaces dans nos campagnes.
Le décret Fortoul fut donc le point de départ d’un immense travail de collectage et de publication dans lequel s’illustrèrent pour la Flandre française, Charles Edmond Henri de Coussemaker (1971, 1856), pour l’Alsace, Jean- Baptiste Weckerlin (1984, 1861), pour la Bretagne, Hersart de La Villemarqué (1939, 1867), et pour le Languedoc, Achille Montel (1975, 1880) et Louis Lam- bert notamment. Cette première génération de folkloristes était plutôt constituée d’hommes de lettres, à l’exemple des pionniers du genre que furent les écrivains romantiques de la lignée de Gérard de Nerval, de Prosper Mérimée ou de Georges Sand. Certains étaient d’habiles transcripteurs, mais la plupart peinaient à noter les mélodies entendues avec leurs fioritures, leurs glissandi, leurs tempi et naturellement leurs timbres. Ils s’en plaignaient d’ailleurs eux-mêmes. Aussi ne s’appliquaient-ils à faire entrer sur la portée que les notes qu’ils étaient capables d’écrire. Devant la gageure, il arrive au demeurant que même des folkloristes aussi expérimentés que Bartók songent à renoncer au support de l’écriture.
Au handicap technique s’ajoutait aussi un manque de compétences scientifiques. On ne peut manifestement pas demander à un folkloriste de cette époque de faire preuve des mêmes capacités que celles qu’on attendrait d’un ethnomusicologue moderne, dans son aptitude d’objectivation notamment. La tendance était de soumettre, consciemment ou non, tous les faits observés à une grille d’analyse préconçue.
Peu soucieux – et pour cause – des précautions à prendre pour leurs recherches, mais en pleine connaissance des objectifs du décret Fortoul, nos collecteurs s’entendirent pour opérer en fonction de critères de « beauté ». Cette préférence sera partagée ultérieurement même par les collecteurs, les compilateurs et éditeurs les plus en vue du 20e siècle, Davenson13, Canteloube (1951) et Robine (1994) par exemple. Édouard Garo
C’est à la fin des années 1970 que les termes de « musique traditionnelle » commencent à s’installer dans le langage courant. Certes la notion était auparavant usitée, mais avec parcimonie et davantage dans les milieux ethnomusicologiques. Ainsi, en 1965, si Claudie Marcel-Dubois inaugure le premier tome de « La musique » éditée par la librairie Larousse, par un chapitre consacré aux « musiques traditionnelles et ethniques », c’est uniquement parce que la publication s’adresse à un large public. En effet, elle précise aussitôt avec finesse et prudence, à propos des divers termes utilisés dans ledit chapitre (primitif, exotique, folklorique, populaire, traditionnel etc.) pour désigner les musiques dont il sera question, que l’« on ne devra considérer ici l’emploi de ces diverses appellations ou leur usage préférentiel que sous un angle pratique » (1965).
Quelque années plus tard, dans l’immédiat après soixante huit, le mouvement dit alors « folk » inspiré par le folk-song des Etats-Unis, initié depuis Paris et son lieu fondateur, le fameux folk club « Le bourdon », va alors investir certaines régions française par l’activité alors nommée “collectage”, terme sur lequel je reviendrai ultérieurement. Une première publication sonore va paraître en 1975 sous la forme d’un disque 33 tours accompagné d’un livret, et intitulée « Musique traditionnelle des pays de France ». Ce premier document inaugure une série de publications tant sonores qu’écrites, généralement consacrées à une région ou un « Pays » de France, ou bien encore à un instrument de musique, sous l’impulsion du milieu associatif — puisque c’est avec le support juridique de l’association dite « loi de 1901 » que ce mouvement dédié à la musique traditionnelle s’est installé — qui peut ainsi donner des preuves tangibles de l’existence de cette désormais fameuse “musique traditionnelle”. Mais en cette année 1975, la terminologie est encore hésitante, comme en témoigne l’introduction au livret accompagnant le microsillon, et signée par Jean-François Dutertre : « Ce que nous appelons aujourd’hui musique traditionnelle ou folklorique est l’expression artistique d’un ensemble de communautés populaires analphabètes, d’une véritable civilisation qui, en France, est définitivement morte ». Lothaire Mabru – Propos préliminaires à une archéologie de la notion de « musique traditionnelle »
Graphisme © : Nicolas Castellan 2005-2008