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Le répertoire de la chanson traditionnelle en français.

Copyright : ©Évelyne Girardon

Sources : La chanson folklorique de langue française – Jean Michel Guilcher (1914-2017)— ADP – Notre chanson folklorique – Patrice Coirault (1875-1959).

Jean Michel Guilcher
Patrice CoiraultJean Michel Guilcher

Dès le 19 ème siècle, les musiciens, compositeurs, collecteurs issus de la musique savante ont débattus longuement sur l’origine des chansons populaires.
Il s’avère que nous retrouvons les mêmes thèmes partout, déclinés en de nombreuses versions narratives et musicales, toutes différentes suivant les aires culturelles concernées.
Par exemple, la chanson « Le pieux buveur » se retrouve de la Bretagne au Berry, les chansons collectées par Siméon Favre en Tarentaise (recueil alpin de Julien Tiersot) se retrouvent de l’Ardèche aux Flandres françaises et même beaucoup plus loin.
Une chanson recueillie dans les Alpes comme « L’amour et le vin » se décline aussi ailleurs, tout comme « Le Galant Indiscret , La petite Rosette, L’eau et le vin …»
La chanson folklorique, terme employé par Patrice Coirault nous est proposée dans une multitude de versions presque aussi nombreuses et diverses que les interprètes. Même pour un chanteur donné, elle peut varier d’une fois à l’autre : des mots, des groupes de mots, des tours mélodiques changent. Tout se passe comme si c’était davantage une idée directrice qu’un assemblage fixe de mots choisis.

Patrice Coirault a longuement consulté les recueils de colportage déposés à la Bibliothèque Nationale de France. On y trouve en assez grand nombre des thèmes courants du folklore : fille pressée de se marier, dialogues de bergères, départ et retour de soldats, mal mariées, batelières. Molière, La fontaine, Boileau citent certaines de ces chansons ou le nom des chansonniers populaires. Au XVIII ème siècle, la clientèle de ces brochures s’étend largement au menu peuple des villes.

Les recueils de colportage

C’étaient des brochures de 12 à 24 pages diffusées par les colporteurs, chantées dans les rues et les foires par des chanteurs publics. En petit nombre s’y trouvent des chansons plus ou moins semblables à celles que les folkloristes recueilleront en milieu rural au XIX ème siècle.
La plupart des brochures ont été perdues ou détruites.

Les chanteurs chansonniers

De condition modeste, ils sont les continuateurs du jongleur médiéval.
Le petit peuple est largement redevable au chanteur de plein air pour l’enrichissement de son répertoire chansonnier.
Au XVII et XVIII ème siècles, les chanteurs du Pont Neuf (Paris) donnent le ton à toute la confrérie.
Les chanteurs des rues nous sont connus :
Par eux-mêmes : oeuvres imprimées sur feuilles et brochures de colportage (P.Coirault en a dépouillé plusieurs milliers).
Par des documents de police (rassemblés par P.Coirault).
Nous ne connaissons de leur oeuvre qu’une part assez faible.
Il est rare qu’on soit conduit à attribuer à l’un d’eux la paternité d’une chanson recueillie dans le folklore des campagnes au XIXème siècle. Sauf quelques exceptions qui ont laissé quelques couplets ou phrases dans certaines collectes de Tiersot ou de Ritz.
P.Coirault note néanmoins que Hayez, fabricant de toile à Valenciennes semble avoir composé « L’ivrogne et le pénitent »

Le XVIII ème siècle

Le règne de Louis XIV (1638-1715) est une coupure, l’époque d’éloignement maximum à imaginer pour nous.
Le mouvement d’intérêt pour les chansons du peuple est en germe dès le XVIIIème siècle, dernière période qui a vu naître des chansons que les folkloristes retrouveront à la fin du siècle suivant dans la tradition orale.

Avant la fin de l’Ancien Régime, nous ne pouvons avoir qu’une information assez mince : il n’y a pas de curiosité pour les chansons du peuple en tant que telles.
Occasionnellement, indirectement, on glane quelques informations de la part d’auteurs lettrés.
La chanson de circulation orale, qu’elle donne ou non lieu à tradition orale, tient dans la vie des français de l’Ancien Régime une place sans rapport avec celle que nous lui connaissons.
En grand nombre, des chansons, davantage encore des airs, circulent d’un étage à l’autre de la société constituant un petit secteur de culture familière assez généralement partagée.

Patrice Coirault
Extrait de « Notre chansons folklorique » de Patrice Coirault

Le XIX ème siècle

La collecte

La Bretagne a été une des premières à se lancer dans ces recherches.
Vers 1840, les lettrés commencent a avoir quelques familiarités avec la poésie traditionnelle des milieux populaires.

Gérard de Nerval (1808-1855)

1842 : article « Les vieilles ballades françaises » dans La Sylphide
« Chaque fois que ma pensée se reporte aux souvenirs de cette province du Valois, je me rappelle avec ravissement les chants et les récits qui ont bercé mon enfance. La maison de mon oncle était toute pleine de voix mélodieuses, et celles des servantes qui nous avaient suivies à Paris chantaient tout le jour des ballades joyeuses de leur jeunesse, dont malheureusement je ne puis citer les airs [ …]
Aujourd’hui, je ne puis arriver à les compléter car tout cela est profondément oublié; le secret en est demeuré dans la tombe des aïeules. »

C’est le premier à avoir rassemblé des chansons authentiquement populaires, authentiquement traditionnelles et orales – nous dirions aujourd’hui des chansons folkloriques.
Le premier à avoir manifesté la spécificité d’un type musical particulier.
1 – le rôle nécessaire de la mélodie pour la mise en valeur de la poésie
2 – la nature d’art « dans la vie » de la chanson traditionnelle, et l’amoindrissement qu’elle subit inévitablement quand on l’en détache.

Milieu du XIXème siècle

Avant 1850 : de nombreux recueils ont créé la confusion dans les esprits en mettant sur le même pied des chansons de provenances, de nature et de facture très différentes.
Aux environs de 1850 : « C’était une mode qui agitait les salons littéraires et les ateliers d’artistes » (Coirault, Notre chansons folkloriques p.299).

De 1852 à 1876 : L’ENQUÊTE FORTOUL

Un décret impérial du 13 septembre 1852 met le ministre de l’instruction publique, Hippolyte Fortoul (1811 – 1856), en charge d’organiser la collecte des poésies et chansons populaires avec la collaboration de Jean-Jacques Ampère (1800 à Lyon – 1864), qui rédige des instructions de collecte.
Il est stipulé que, des poésies chantées, on recueillera aussi bien les airs que les paroles.
Un comité scientifique attire l’attention sur les particularités possibles de la mélodie populaire : absence d’un rythme bien déterminé, cadence finale s’achevant parfois sur un autre degré que la tonique, absence éventuelle de note sensible.
« Écrivez l’air tel que vous l’entendez chanter et le changez rien », recommande les Instructions. Le comité demande qu’on fasse connaître toutes les variantes recueillies : « On fera de même pour les chants conservés par la tradition orale, dont le caractère est d’être perpétuellement modifiés par la transmission vivante qui les perpétue ».

Le décret Fortoul fut le point de départ d’un immense travail de collectage et de publication dans lequel s’illustrèrent, entre autres, pour la Flandre française, Charles Edmond Henri de Coussemaker (1805 – 1876 ), pour l’Alsace, Jean- Baptiste Weckerlin (1821 -1910), pour la Bretagne, Hersart de La Villemarqué (1815 – 1895), pour le Languedoc, Achille Montel (1841-1900) et Louis Lambert (1835 – 1908) notamment. Cette première génération de folkloristes était plutôt constituée d’hommes de lettres, à l’exemple des pionniers du genre que furent les écrivains romantiques de la lignée de Gérard de Nerval, de Prosper Mérimée ou de Georges Sand (1804 – 1876). Beaucoup d’autres personnalités ont participé à cette enquête.

Cette enquête s’est appuyée sur deux filières : les sociétés savantes d’une part et l’instruction publique (instituteurs, recteurs …) Les matériaux recueillis seront centralisés à Paris, et examinés par le comité « scientifique », en vue de la publication d’un « recueil général des poésies populaires de la France ». C’est un succès d’une ampleur sans précédent, l’entreprise devient difficile pour que le projet d’éditions du recueil aboutisse rapidement. Au ministère, on accusa réception de 3250 feuillets manuscrits, on remercia les collecteurs. En 1856, Hippolyte Fortoul mourut, on enterra avec lui le projet éditorial. Le projet fut classé puis, en 1876, les nombreuses pièces qui ont été recueillies ont été déposées a la bibliothèque nationale. L’échec du programme officiel n’a pas fait retomber la fièvre du collectage. Les collectes seront éditées régionalement.

« À l’ensemble des recherches et publications qui, de près ou de loin, se rattachent ainsi à l’initiative officielle de 1852, nous devons le stock de chansons sur lequel devaient se fonder toutes les études ultérieures » JM/Guilcher

Les campagnes, au XIX ème siècle sont encore riches en chansons de traditions orales – inégalement d’ailleurs selon les régions de France – et certaines le resteront longtemps.
Là seulement, les folkloristes les trouvent en abondance.
Ils en concluent assez naturellement qu’elles sont le bien propre des milieux ruraux. L’idée ne leur vient pas qu’il ait pu ne pas en être toujours ainsi. Rien ne permet d’affirmer qu’une production ancienne, qu’elle qu’elle soit, a pris naissance dans le milieu où on l’a recueillie.

L’anonymat fait partie d’une situation de fait qui est très généralement celle de nos chansons populaires traditionnelles. Il n’est pas un trait constitutif et caractéristique de ces chansons.
L’absence d’individualité, en revanche, en est un et fort important : simplicité de son inspiration et de ses moyens. Rien ne porte la marque d’un auteur.

Variabilité

La propagation orale des chansons n’est pas sans conséquence pour leur contenu et leur forme. Très tôt, les collecteurs ont constaté qu’une même chanson se retrouvait dans des provinces différentes sous des aspects différents, au point qu’on ne pouvait décider où elle avait pris naissance, ni sous quelle forme. Même en un lieu donné, on relevait, d’un chanteur à l’autre, pour une même chanson, des différences appréciables.

La chanson folklorique selon Patrice Coirault (1874 – 1959)

La chanson qu’il étudie est ancienne en ce sens qu’elle nous vient des siècles passés.
Cette chanson est « traditionnelle » en ceci qu’elle a été confiée, principalement sinon toujours exclusivement à la mémoire. Elle s’est perpétuée par transmissions successives, la plupart du temps purement orales, s’étendant assez souvent sur plusieurs siècles et un nombre élevé de générations. Elle est d’une espèce que les temps présents ne peuvent pas voir éclore.
« En résumé, cette chanson est ancienne en ce sens qu’elle est celle d’une société disparue, ou, au moins pour la période la plus proche de nous, d’un reliquat, de plus en plus restreint, d’une société disparue »
« Elle est d’une époque antérieure à la vulgarisation de l’instruction et d’un certain minimum de bien-être, en somme d’avant l’apparition de ce que j’appellerais volontiers le demi-confort démocratique moderne »

Le commencement de l’extrême fin de cette chanson se situerait, selon Coirault, vers l’époque révolutionnaire et post-révolutionnaire, entre 1790 et 1820. Après cette date, elle continue d’être chantée, surtout dans les campagnes, mais son stock ne s’accroit plus et ses fidèles diminuent en nombre.
L’adjectif « Populaire » ne saurait à lui seul caractériser la catégorie de chansons visées par les collecteurs. Ce terme est trop vague et trop sujet à malentendus.
Coirault lui préfère le terme de « folklorique ».
(Une méthode folklorique doit tenir la chanson de même nom, moins pour l’oeuvre d’un auteur individuel que pour une production sociale. Elle conduit à s’enquérir d’un psychisme de groupe
Elle implique une étude de mentalité.)

L’objet de l’étude de Coirault est la connaissance du répertoire recueilli au XIXème et XXème siècle auprès de milliers de mémoires paysannes restées presque seules à en assurer la tradition.

Dans la perspective de Coirault, il pourrait être utile aujourd’hui de réfléchir à des chansons qu’on pourrait appeler « post folkloriques ». Elles contiendraient des chansons indiscutablement issues de notre folklore, mais recueillies à notre époque, dans un contexte socioculturel qui n’a plus rien de commun avec celui qui élabora notre ancienne chanson populaire traditionnelle.

Ce qui fait la saveur de ce répertoire, quelqu’en soit sa provenance, ce qui fait « tradition » ce sont les multiples variations, échanges de mélodies, « tours mélodiques », mélange de couplets, micro-variantes et autres ajouts déposés par les interprètes qui, de bouches à oreilles, de générations en générations, nous ont légués leurs savoirs. À partir du moment où ce répertoire est noté, il perd cette capacité mouvante, mais à l’époque où l’enregistrement n’était pas possible, l’écriture musicale (qui a engendrée beaucoup de questions et débats …) est restée la seule empreinte possible. Il ne nous reste aujourd’hui que les collectes audios issues du XX ème siècle, qui nous livre une petite partie de cet immense répertoire dont les principales caractéristiques musicales ont été perdues.

La monodie

Généralités

Le répertoire est profondément monodique, tout est imbriqué : la mélodie, la narration, la fonction, le tempérament, la pose de voix, l’ornementation, les micro-variantes.
Sa structure centrale est à grande majorité modale, même (et surtout si) tous « les accidents » qui font sortir du mode sont les bienvenus (à la différence du répertoire liturgique par exemple).
L’histoire de la musique passe à l’intérieur, de façon subtile (arrivée de la sensible, utilisée de manière tout à fait spéciale, mélodies aux couleurs « orphéoniques » de la fin du 19e siècle.
La modalité imprègne très fortement les musiques de tradition orale, tous pays confondus.
Pendant des siècles, il y a eu de très grands changements, la musique classique a pris d’autres chemins, la musique modale, horizontale s’est maintenue de manière autonome à travers les musiques traditionnelles. On peut dire que la modalité, ce sont nos racines.

La Voix

Le répertoire de tradition orale, en français, est attesté surtout à une voix (soliste ou groupe chantant à l’unisson en réponse à un meneur, par exemple)
La conduite vocale entendue sur les documents audio montre que la pose de voix se construit pour cette forme monodique, c’est-à-dire se place de manière à sélectionner les sons harmoniques, et ce, quelles que soient les régions voire les pays.
D’où une impression de « nasalisation », y compris dans les traditions francophones et l’intérêt pour une compression des sons aigus de la voix (à l’inverse de ce qui est pratiqué dans la technique classique par exemple).
Le son de la voix semble être « plaqué » dans les os du visage (même s’ il y a aussi beaucoup…d’exceptions)
On peut notamment entendre les sons harmoniques sur les finales mais aussi sur les passages en notes longues à l’intérieur de la monodie.
La respiration est continue, les interruptions sont fonctionnelles. Elle sert aussi d’accent, on interrompt le mot, c’est aussi, parfois, pour marquer l’importance du texte.

La narration

L’expression des textes est directe, comme celle de la voix parlée, quelqu’en soit l’interprétation (en distance ou non), certains mots deviennent de simples supports « de passage » à l’image qui suit (comme on le dirait « d’une note de passage »)
Le texte est important, on le met en valeur au détriment de la « mesure », on n’hésite pas à ajouter des temps supplémentaires si la narration le demande.
Chanter, c’est surtout raconter ou faire vivre une fonction, un rituel (danser pour battre le sol d’une nouvelle maison, bercer, marcher, travailler.)

La musique

La pensée musicale est horizontale, très différente de celle dont nous avons l’habitude aujourd’hui : la verticalité des sons se vit comme une superposition de monodies, ou de lignes narratives. Et non pas comme la réalisation pensée d’accords.
Chacun tente de se signer dans le son global, c’est ce qui est intéressant.
Dans la culture savante, les embellissements sont écrits.
Dans la culture de tradition orale, on peut improviser.
Le lieu d’improvisation, ce sont des minuscules fragments, qui deviennent énormes car ce sont les « micros-variantes » qui indiquent si un chanteur est bon ou non.

Comme l’explique Giovanna Marini :

C’est une culture de présence, la présence est fondamentale. La voix doit être toujours forte, si je chante un “pianissimo” qui vient de la culture savante, ils me disent : «Tu es malade ? ». La voix doit être forte car le chanteur doit être là !

Évelyne Girardon

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