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Modalité occidentale : extraits de lectures 2

Échelle et modes : pour une musicologie généralisée (extrait)
François Picard

François Picard
François Picard

… [ Au niveau le plus général, il y a les univers mélodiques. Il y a globalement trois grands univers mélodiques en usage dans le monde avant le XX ème siècle : la modalité, le pentatonisme et la tonalité. On peut distinguer plusieurs univers mélodiques modaux, culturellement ou historiquement délimités, de même qu’on peut distinguer des usages non orthodoxes de la tonalité, quand celle-ci n’est pas fonctionnelle (voir Bertrand Desbordes et ce qu’il définit comme « a-tonal » dans les récitatifs mozartiens).
Le terme de « pentatonisme » est choisi par référence aux musiques d’Afrique noire, chinoise et populaires d’Europe qui ont permit de décrire cet univers et qui est conventionnellement utilisé par les musicologues. Il réfère à ce type de musiques (plus ou moins complètement) décrit par Constantin Brâiloiu et qui englobe ici bien sûr, et contrairement à Powers, les musiques d’Asie du Sud-Est et en particulier l’Indonésie. On notera que l’analyse des pièces et des systèmes musicaux a montré que des musiques de trois ou quatre sons, ou encore bâties sur des chaînes de tierces ressortent de ce même univers pentatonique.
Le concept de mode n’existe pas dans toutes les musiques, seulement dans les musiques modales (grossièrement grégorien, mais aussi musiques européennes profanes avant Montéverdi, gwerz de Bretagne, râgas indiens, maqâmât arabes et leurs correspondants turcs et persans). Si l’on veut arriver à penser la modalité des musiques modales, il faut réserver le terme « mode » à ce type de musiques. Il inclut l’idée du système global des modes, chacun avec ses appuis, ses mouvements particulier, ses notes fixes et mobiles, le tout associé généralement à un « ethos » propre … ]

… [ Il est indispensable, comme dans le monde anglophone, germanique, chinois, de distinguer hauteur absolue (relativement) un diapason fixé ou non de hauteur relative.
La langue française ne le permet plus. Nous proposons de nommer et noter les hauteurs absolues (physiques) selon la série C D E F G A B (qui pourront être écrites C D E F G A B), et les notes (ou hauteurs relatives, nominales) selon la série do ré mi fa sol la si. On peut aussi, comme le préconisait Rousseau puis Chevé-Galin, et comme le font les Chinois, remplacer la deuxième série par les signes écrits 1 2 3 4 5 6 7, à condition de rappeler qu’ils se prononcent do ré mi fa sol la si … ]

Quels modèles pour la modalité ? (extrait)
Jacques Viret – Analyse musicale – 1er trimestre 2001

Jacqus Viret
Jacques Viret

… [ Jacques Chailley a rédigé sur la modalité trois études – rééditées ensemble en 1981 – qui se réfèrent explicitement à des données ethnomusicologiques : l’altération du SI bécarre en SI bémol, notamment, n’entrainant nulle modulation comme le veulent la théorie des hexacordes et celle de la tonalité classique; elle est la naturelle mobilité d’un degré faible n’altérant pas la charpente fondamentale du mode établie par les degrés forts de celui-ci.
La compréhension du mode en général invite à rattacher les musiques proprement modales – traditions orientales, chant grégorien – aux autres types de musique, pour la simple raison qu’il est impossible de déterminer où s’arrête le modal et où commence le non modal, et vice-versa. Mais que peut être le non modal ? Pentatonique ou tonal au sens de la tonalité classique ? Là encore, impossible de tracer des frontières : en Inde, certains raga-s sont pentatoniques, et en Occident la tonalité classique s’est progressivement dégagée de la polyphonie médiévale ancrée elle-même dans la modalité grégorienne monodique.

D’autre part, telle antienne grégorienne, modale, ressemble de près à une déclamation africaine, à telle mélopée amérindienne ou à telle chanson populaire scandinave, tous domaines musicaux théoriquement étrangers à l’aire modale. C’est donc qu’il y a, en deçà des traditions modales un soubassement profond qui serait en quelque sorte le terreau où ont poussé celles-ci. Nous sommes ici renvoyés à ce que d’aucuns appellent les universaux, composantes élémentaires de la musique, de toute musique : les travaux d’un Walter Wiora, d’un Constantin Brâiloiu, d’un Jacques Chailley vont dans ce sens. Or la seule chose réellement universelle, en matière de créations humaines (productions artistique, mythes, fonctionnement de la pensée), n’est ce point l’homme lui-même qui s’exprime à travers elles ? Le mode aurait partie liée avec l’anthropologie … ]

… [ Nous saisissons là un caractère essentiel de la mentalité modale : si, pour nous, la mélodie (tonale) est une libre succession de notes allant où bon leur semble, la mélodie modale, elle, se conçoit comme parcours dynamique au sein d’un espace sonore structuré, balisé. Un son est alors davantage qu’une simple note, un degré investi de la fonction particulière que lui signe le « champ de force » du mode, sur la base d’un réseau d’intervalles hiérarchisés (on a évoqué à ce propos le jeu d’échecs). Aussi y aura t’il pour chaque mode des intervalles principaux et secondaires, et d’autres qui sont exclus car n’entrant pas dans l’éventail des degrés et intervalles constitutifs de ce mode.
Si, d’autre part, nous juxtaposons deux intervalles ou davantage, nous obtenons un motif mélodique, autrement dit une formule. Les formules, première « émanation » mélodique de l’échelle, sont le moyen terme pour passer de celle-ci à la mélodie concrète, en quelque sorte les briques (ou bribes) servant à la construire … ]

… [ Toute musique traditionnelle n’est elle pas d’essence modale au sens large, même si elle ne relève pas de la modalité au sens étroit, impliquant théorisation ?
Et cette « traditionnalité » de la musique modale ne résulte-t’elle point des fondements naturels avec lesquels elle maintient un contact vital (archétypes mélodiques, intervalles consonants, polarisation sur un centre tonal)?
Mais qu’est ce au juste que la tradition, une tradition ? Contrairement à l’acception courante, réductrice et fausse, la tradition n’est pas en soi liée au passé comme tel.
Est traditionnel, selon l’étymologie, ce qui se transmet (en latin tradere = transmettre) et, hérité du passé, s’actualise à chaque époque en s’adaptant aux conditions de celle-ci. Plutôt qu’au passé, à ce qui est passé (donc dépassé, caduc) c’est à l’archaïque qu’il faudrait rattacher l’idée de tradition, en sachant que l’archaïque bien compris n’est pas l’ancien mais l’intemporel : le primordial qui perdure à travers l’écoulement de la durée, l’essentiel qui prend forme dans le contingent en se révélant et se limitant grâce à lui. La modalité ainsi comprise est bien un trait archaïque du langage musical, préservant un lien vital avec les origines. Or, l’originel relève de la sacralisé (voir les travaux de Mircea Eliade), et de même en musique la modalité : « Toute musique authentiquement sacrée est modale, et toute musique modale participe de la sacralité » note Alain Danielou. … ]

… [ Modalité : caractère, relatif à l’organisation des hauteurs, d’une musique d’essence mélodique (ou par extension polymélodique, polyphonique) propre à rendre celle-ci formellement cohérente et sémantiquement signifiante (« climat » expressif, ethos), grâce à la structuration d’une échelle. Par « échelle » il faut entendre une série limitative de sons ou degrés (sept au plus à l’intérieur de l’octave), dont la plupart, sinon tous, sont stabilisés par des liens de consonances (quinte, quarte principalement) et impliquent normalement l’équivalence des sons à l’octave. Le mode ajoute à l’échelle une organisation hiérarchisée de degrés et intervalles, demeurant en principe immuable durant le développement mélodique
Et s’articulant autour d’un centre tonal, degré maître, finale conclusive et/ou terme de référence pour la perception des notes successives : la tonique. Des matériaux mélodiques (formules) entrent souvent aussi dans la caractérisation du mode, et en sont même parfois l’élément constitutif principal. … ]

Guide de la Théorie de la musique (extrait)
Claude Abromont/ Eugène Montalembert.
Théorie de la Musique

… [ Les modes « naturels », les modes ethniques, les modes artificiels.

Il existe 3 familles de modes qui ont séduit de très nombreux compositeurs à partir de la seconde moitié du XIX ème siècle. Ces modes constituent plutôt des gammes « bis », sans remettre en question les fonctions tonales : ces modes modernes constituent diverses expérimentations de combinaisons de tons et de demi-tons en vue de susciter des couleurs alternatives aux sempiternels mode majeur et mineur.
Lorsque, pour renouveler le langage, les compositeurs de la fin du XIX ème siècle reprirent les échelles anciennes, les modes furent réduits à six, car il n’a plus été tenu compte des différences d’ambigus (formes authentes et plagales). De plus, un septième mode, construit à partir du SI fut ajouté.

Les modes « naturels »
On nomme ainsi la reprise des modes du Moyen Âge et de la Renaissance, pour leur charme ancien, médiéval, mais avec toutes les nouveautés découlant de l’esprit harmonique de l’époque moderne. Le Jazz en fait également un grand usage. Synonymes : modes d’Église, modes ecclésiastiques, modes diatoniques, voire – mais à proscrire car erroné – modes grecs.
Lorsque, pour renouveler le langage, les compositeurs de la fin du XIX ème siècle reprirent les échelles anciennes, les modes furent réduits à six, car il n’a plus été tenu compte des différences d’ambigus (formes authentes et plagales). De plus, un septième mode, construit à partir du SI fut ajouté.

Les modes « ethniques »
Il s’agit de l’adoption de nombreuses échelles caractéristiques, suscitée par l’éveil des écoles nationales et par un goût pour l’exotisme : gamme chinoise, mode andalou, mode de Java, modes d’Europe centrale, échelles karstiques de l’Inde … ]

… [ Les modes artificiels
De nouvelles échelles ont été créées, provoquées par un désir de nouvelles sonorités, de nouvelles rhétoriques : la gamme pr tons, le mode ton/demi-ton, le mode de Bartok … ]

« L’écriture diatonique de Bartok, (en comparaison à son écriture chromatique), repose sur la gamme do – ré – mi – fa# – sol- sib et sur l’accord correspondant do – mi – sol – sib – do – fa#, d’allure majeure, dits « acoustiques » parce que composés de sons tirés de la série naturelle des sons harmoniques … C’est un véritable mode, déjà d’ailleurs utilisé par Debussy dans le thème de cors qui ouvre « La Mer », mais que Bartok reprend si souvent qu’on peut dire qu’il lui appartient. On parle couramment de « gamme Bartok ».
_Extrait du livre « Bartok » par Pierre Citron : il cite ici l’analyse d’Ernő Lendvai (théoricien de la musique hongroise)*

… [ Le mode pentatonique (ou pentaphonique)
Contrairement aux «  gammes diatoniques » les modes ne sont pas toujours constitués de 7 notes. Le mode de cinq sons, dit mode pentatonique est presque un mode universel, tant nombre de cultures l’ont utilisé. Il a deux origines géographiques principales : la chine, l’Afrique. Il faut cependant noter qu’il existe aussi en Occident et qu’il est même à l’origine de la formation des modes grégoriens. Une de ses particularités est de ne comporter aucun demi-ton; aussi il est qualifié de mode « anhémitonique »… ]

… [ Naissance de la notation occidentale
Dès l’antiquité grecque, les théoriciens savent mesurer les intervalles et visualiser les différentes hauteurs de sons. Cette opération s’effectue à l’aide d’un « monocorde », pièce de bois sur laquelle est tendue une corde qui peut être raccourcie par un chevalet mobile.

Une théorie s’est petit à petit dégagée à partie de ces expériences.
Les sons y sont groupés par séries de quatre, par « tétracordes » pouvant avoir trois genres distincts. Ces différents tétracordes s’enchaînent soit conjointement, soit disjointement (séparés par une seconde). De multiples échelles naissent alors de leurs différentes combinaisons. La notation des degrés de ces échelles s’effectue en utilisant les lettres de l’alphabet.

Au XI ème siècle Gui d’Arezzo, moine et génial pédagogue imagina une échelle à 6 sons, «  hexacorde » uniquement destiné à « solmiser » (solfier en hauteur relative).Cette échelle comporte six degrés et non sept, car le SI présente une difficulté : c’est un degré mobile qui prend deux formes distinctes selon la direction de la mélodie (bémol ou naturel). Le système du solfège ne deviendra réellement « heptatonique » qu’au XVII ème siècle … ]

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