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Pour en savoir plus – Quelques éléments d’histoire musicale à propos de la modalité occidentale et autres explications utiles.
Qu’un chant quelconque use de toutes les notes et de toutes leurs relations, c’est néanmoins la note finale du chant qui joue le premier rôle. Elle sonne en effet plus longuement et avec plus d’insistance. Les notes émises auparavant – chose qui n’est perceptible que pour les gens exercés – s’adaptent à elle de telle manière que, curieusement, elles semblent en tirer les couleurs qu’elles révèlent.
… [ Lorsque nous entendons quelqu’un chanter, nous ignorons à quel mode appartient sa première note puisque nous ignorons si ce sont des tons, des demi-tons ou d’autres intervalles qui la suivent. Mais une fois le chant achevé, nous connaissons clairement le mode de la dernière note grâce aux notes précédentes, car au début du chant tu ignores ce qui suit, à la fin, tu vois ce qui a précédé. Donc, c’est sur la note finale que se fixe le plus notre attention.*… ]
*La cadence finale de toutes les phrases sur le même degré est une idée nouvelle qui va être exploitée par les poètes-compositeurs des XI et XII ème siècles.
… [ La théorie modale est une chose, la modalité pratique une autre.
La théorie des modes apparaît dans les traités carolingiens du IX ème siècle, qui la présentent comme une importation de Byzance, capitale de la chrétienté grecque.
À cette date le répertoires des chants liturgiques était déjà entièrement constitué tout au moins le vieux fond : il aura donc été composé selon une modalité empirique non théorisée et la théorisation ultérieure se sera opérée « a postériori » sur un corpus musical existant. Pourquoi a t’elle eu lieu ? Les traités du IX ème siècle donnent la réponse. Dans la pratique de la « psalmodie » il s’agissait de choisir « un ton » de récitation approprié à chaque antienne* – pour la psalmodie simple des offices comme pour celle, plus ornée, de la messe – ce qui supposait une analyse mélodique de l’antienne*. Les deux éléments principaux du mode sont en effet la « tonique modale » correspondant à la « teneur » (corde récitation du ton psalmodique).
Autant et davantage que la tonique, la « dominante » modale apparaît alors comme le critère modal décisif : teneur psalmodique, elle est en même temps le degré privilégié dans la mélodie de l’antienne. … ]
Antienne*: type de chant appartenant à la liturgie chrétienne.
Le mot désigne initialement un chant exécuté en alternance par deux chœurs
… [ Authentes et plagaux
La doctrine modale occidentale, comme celle de Byzance dont elle provient, se fonde sur une série de quatre toniques auxquelles le solfège ultérieur donnera les noms respectifs de « ré, mi, fa et sol ». Elles sont prélevées dans la « gamme diatonique », seule usitée par la modalité grégorienne(avec unique exception, altération du « si » en « si bémol » qui d’ailleurs ne contredit aucunement ce diatonisme fondamental). Comme en outre chacune de ces toniques se dédouble en deux variante structurales – « un authente et un plagal » – nous obtenons au total un ensemble de « huit structures modales de base ». … ]
… [ La seule altération usitée dans le cadre de ce système est le « si bémol » employé en principe pour éviter l’intervalle dissonant de « triton – fa, si » , à la place du « si bécarre ».
Les deux toniques « la et do » (celles des deux modes classiques, le mineur et le majeur) ne seront pas prises en compte par la théorie avant le XVI ème siècle.
En modalité ancienne, l’échelle de « do » est celle de « fa avec si bémol » et l’échelle de « la » est celle de « ré avec la même altération ».Quand à l’octave modale de « si » , elle est en principe exclue car n’ayant pas de quinte juste entre sa tonique et son cinquième degré. … ]
Le mode : un système d’intervalles
Parmi les traits distinctifs de la musique modale en général, qui sont ceux de la tradition orale en musique, et du chant grégorien en particulier, il y a l’importance de « l’intervalle ».
Qu’est ce pour nous que « l’intervalle » ? Une « distance » dans l’espace sonore, entre deux « sons » , deux « notes » de hauteur différentes. Nous pensons en effet la musique en notes simples bien plus qu’en intervalles, combinaisons cohérentes de notes. Cette conception est à la base de la notion de « hauteur absolue » : un do, un ré, un fa# de telle ou telle octave sont précisément localisés à telle ou telle fréquence acoustique.
Dans la perspective de l’oralité, la relation entre notes et intervalles mélodique s’inverse : c’est l’intervalle qui existe d’abord, et les notes ne servent qu’à le situer à telle ou telle hauteur. En mélodie modale, chaque note est le terme d’un ou de plusieurs intervalles: elle n’a pas d’existence réelle en dehors de ces interrelations multiples et croisées.
Le mode lui-même est « un système d’intervalles » : par le biais des « rapports sonores » que sont les intervalles, chaque note devient « degré modal » en acquérant une individualité et « une fonction » spécifique que la mélodie viendra actualiser, concrétiser. Et c’est en étant le terme d’un intervalle polariseur (c’est à dire d’une consonance) que telle ou telle note s’arroge une primauté hiérarchique au sein de la mélodie, à commencer par le degré maître : « la tonique ». … ]
… [ Dès lors la « hauteur absolue » fait place à la « hauteur relative » : un do, un ré, un fa, se rattacheront d’emblée à une structure musicale, un système sonore, abstraction faite de leur fréquence vibratoire (c’est à dire de leur hauteur absolue). Ainsi, quand nous parlons de « mode de ré » ou de « mode de fa », il faut s’entendre : cette dénomination commode désigne la configuration globale d’intervalles (secondes majeures ou mineures si nous ramenons le mode à son échelle) dont l’échelle de ré ou celle de fa donne le modèle dans la gamme diatonique, mais qui peut se reproduire identique à elle-même sur n’importe quelle hauteur acoustique.
L’ornement, vie de la mélodie
Passer d’une note à la suivante, en musique modale, ce n’est pas juxtaposer banalement deux notes comme lorsque nous frappons deux touches sur un piano. C’est « franchir l’espace compris entre ces deux notes, conduire la voix »_(ou l’instrument qui l’imite) de l’une à l’autre, quitte à effectuer parfois un bref détour sur un ou plusieurs degrés voisins. Cette idée de franchissement, de passage, se perçoit lorsque nous écoutons avec attention un chanteur ou un instrumentiste traditionnel : il« enchaîne» une note à la suivante, _« fait sortir » la seconde de la première. Le « légato » « lié » des sons successifs, tel que le pratiquait l’ancien « bel canto » et qui consiste en un « glissando » imperceptible ou plus appuyé, avait précisément pour but et pour effet de « lier », c’est à dire de « relier » entre elles les notes mélodiques afin de renforcer leur mutuelle cohérence.
De là découle l’art de « l’ornementation », qui n’est pas en musique modale, moins encore qu’en musique baroque, un aspect secondaire ou accessoire de la mélodie.
L’ornement ainsi compris introduit en elle des sons infinitésimaux, molécules sonores embellissant les notes mélodiques sans être notes elles-mêmes. D’où la difficulté, sinon l’impossibilité de les noter : l’ornementation n’est transmissible que par tradition orale.
Elle accuse « l’expressivité » d’un intervalle et aussi d’un son isolé, par une « efflorescence » décorative autour de ce ou ces sons. Et non de n’importe quels sons : il y en a qui plus d’autres demandent à être mis en relief. La manière d’ornementer un son ressortit donc bien « à la structuration modale » et non à la seule mélodie comme telle. … ]
Graphisme © : Nicolas Castellan 2005-2008