Les divers styles du chant diphonique - Trân Quang Hai

La technique du chant diphonique est répandue non seulement dans toute la partie du monde se trouvant autour du Mont d’Altaï en Haute Asie concernant les populations suivantes : Mongols, Touvas, Khakash, Bachkirs, Altaiens, mais également à un certain degré, parmi les Rajasthanais de l’Inde, les Xhosas d’Afrique du Sud, et les Moines tibétains des monastères Gyütö, et Gyüme.

Photo mongol

Chez les Touvas, il existe quatre techniques principales avec bourdon du plus grave au plus aigu selon les styles kargyraa, borbannadyr, ezengileer, sygyt. Pour le style kargyraa le fondamental a un timbre spécial (cor de chasse) avec une fréquence varie entre 55Hz (la) et 65Hz (do 1). Les harmoniques se promènent entre H6,H7,H8,H9,H10 et H12. Chaque harmonique correspond à une voyelle déterminée. Le fondamental dans le style Borbannadyr (autour de 110Hz) reste fixe, et est plus doux que celui du kargyraa. Le chanteur peut produire deux formants harmoniques au dessus du fondamental. La parenté technique entre Kargyraa et Borbannadyr permet au chanteur d’alterner les deux styles dans la même pièce musicale. Le style Sygyt possède un fondamental plus aigu (entre 165Hz-mi2 et 220 Hz-la 2) selon les chanteurs. La mélodie harmonique utilise les harmoniques H9,H10, et H12 (maximum jusqu‘à 2640 Hz). Le style Ezengileer est une variante de Sygyt, caractérisé par un rythme dynamique particulier, venant de l’appui périodique des pieds du cavalier sur les étriers. Les types de chant diphonique des Touvas sont fondés sur les mêmes principes d‘émission sonore que ceux de la guimbarde. La mélodie est créée par les harmoniques d’un fondamental, engendrés par le résonateur d’Helmholtz que constitue la cavité buccale humaine dont on modifie les dimensions. Pour la guimbarde, c’est la lame vibrante qui attaque le résonateur. Pour le chant diphonique, ce sont les cordes vocales qui seront réglées sur des hauteurs différentes, ce qui crée plusieurs fondamentaux, donc plusieurs séries d’harmoniques.

Depuis les dix dernières années, le chant diphonique touva a trouvé son second souffle grâce aux intérêts des chercheurs, chanteurs occidentaux.

D’autres techniques secondaires ou moins connues ont été “retrouvées”, à savoir sigit moyen, kargiraa de steppe ou de montagne, Stil Oidupa (ce style inspiré du style kargyraa, et appelé d’après le nom du créateur, est considéré comme le premier style urbain).

Chez les Mongols, il existe 6 techniques différentes de chant diphonique : xamryn xöömi (xöömi nasal),bagalzuuryn xöömi (xöömi pharyngé) tseedznii xöömi (xöömi thoracique), kevliin xöömi (xöömi abdominal) , xarkiraa xöömi (xöömi narratif avec un fondamental très grave) et isgerex (la voix de flûte dentale, rare en usage). D. Sundui, le meilleur chanteur diphonique mongol,possédant une technique de vibrato et une puissance harmonique exceptionnelle, est celui qui a été enregistré sur nombreux disques en Mongolie et à l‘étranger. Récemment, un autre chanteur Tserendavaa est devenu célèbre et commence à faire parler de lui en Occident.

Les Khakash utilisent le style xaj et les Gorno-Altaiens possèdent un style semblable kaj pour accompagner les chants épiques. Avant la domination russe, les Khakash avaient les styles de chant diphonique très proches de ceux pratiqués par les Touva, à savoir sygyrtyp (comme sygyt touva), kuveder ou kylenge (comme ezengileer touva), et kargirar (come kargyraa touva). Chez les Gorno-Altaiens, on découvre les styles kiomioi, karkira et sibiski (respectivement ezengileer, kargyraa , sygyt touva).

Les Bachkirs possèdent le style uzlau proche du style ezengileer touva.

Chez les moines tibétains des monastères Gyütö et Gyüme, le chant des tantras (écritures bouddhiques), et des mantras (formules sacrées), les mudras (gestes des mains), et des techniques permettant de se représenter mentalement des divinités ou des symboles se pratiquent régulièrement. Leur tradition remonte à un groupe de maîtres indiens, le plus connu étant le Yogin Padmasambhava, qui visitèrent le Tibet au VIIIè siècle et , plus récemment, au fondateur de l’un des quatre courants du bouddhisme tibétain, Tzong Khapa. C’est Tzong Khapa (1357-1419) qui aurait introduit le chant diphonique et le style de méditation pratiqués dans les monastères Gyüto. Il tenait, dit on, ce type de chant de sa divinité protectrice, Maha Bhairava qui, bien qu‘étant une incarnation du Seigneur de la compassion (Avalokiteshvara) possédait un esprit terrifiant. Le visage central de Maha Bhairava est celui d’un buffle en colère. Ses trente quatre bras portent les trente quatre symboles des qualités nécessaires à la libération. Aujourd’hui encore, les maîtres de cette école aiment comparer leur chant au beuglement d’un taureau. Il existe plusieurs manières de réciter les prières: la récitation dans un registre grave avec vitesse modérée ou rapide sur des textes sacrés, les chants avec trois styles (Ta chanté avec des mots clairement prononcés sur une échelle pentatonique; Gur avec un tempo lent utilisé dans les cérémonies principales et au cours des processions; Yang avec une voix extrêmement grave sur des voyelles produisant l’effet harmonique pour communiquer avec les Dieux). Les moines tibétains du monastère Gyüto sortent un bourdon extremement grave et un harmonique H10 correspondant à la tierce majeure au dessus de la 3ème octave du bourdon, tandis que les moines du monastère Gyüme produisent un bourdon grave et un harmonique 12 équivalant la quinte au dessus de la 3ème octave du bourdon. On dit que le chant des moines Gyutö correspond à l‘élément Feu et celui des moines Gyume exprime l‘élément Eau. Ces moines obtiennent cet effet harmonique en chantant la voyelle O avec la bouche allongée et les lèvres arrondies.

Au Rajasthan en Inde, un chanteur rajasthanais, enregistré en 1967 par le regretté John Levy, est arrivé à utiliser la technique du chant diphonique pour imiter la guimbarde et la flûte double satara. Cet enregistrement unique est la seule trace de l’existence du phénomène du chant diphonique au Rajasthan.

En Afrique du Sud, les Xhosa pratiquent le chant diphonique, surtout chez les femmes. Cette technique s’appelle umngqokolo ngomqangi imitant l’arc musical umrhube. Ngomqangi est le nom du coléoptère. Selon les explications de la chanteuse qui sait chanter cette technique à double voix simultanée, elle s’est inspirée du bruit du coléoptère placé devant la bouche utilisé comme bourdon et elle modulait la cavité buccale pour varier les harmoniques produits. Dave Dargie a découvert ce type de chant diphonique chez les Xhosa en Afrique du Sud en 1983.

À Formose, les Bunun chantent les voyelles dans une voix très tendue et font sortir quelques harmoniques dans un chant pour la récolte des millets (Pasi but but ). Est-ce bien un style de chant diphonique semblable à celui pratiqué par les Mongols et les Touvas ? Faute de documents sonores et écrits, nous ne pouvons poursuivre nos recherches.

Dans certains types de chants où l‘émission des voyelles est très résonantielle, ce qui permet aux chanteurs de créer un deuxième formant non intentionnel (le chant bouddhique japonais shomyo , certains chants bulgares, chants polyphoniques d’Europe de l’Est), ou intentionnel (le phénomène quintina – la 5ème voix virtuelle, résultant de la fusion des 4 voix produites ensemble – des chants sacrés sardes étudiés par Bernard Lortat-Jacob).

Il faut donc faire la distinction entre le chant diphonique (chant créant une mélodie d’harmoniques) et le chant à résonance harmonique (chant accompagné par moments par des effets harmoniques).

Trân Quang Hai (CNRS- Paris)

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