Chanter le répertoire traditionnel en français Vol 1

Hier, une amie chanteuse, à la fin d’un concert, a fait ce commentaire : « J’ai aimé chanter cette version de l’empoisonnement de Millien (Allons au bois), j‘avais un compte à régler avec mon compagnon, ça m’a soulagée. »

Tout est dit…

Copyright : ©Évelyne Girardon – Compagnie Beline

Les chansons de la tradition orale ne m’ont laissé aucune autre alternative que celle de les porter encore et toujours, en me laissant cette sensation intime et particulière, cette certitude têtue, de vivre là une expérience vitale, la mienne. Je les ai découvertes, il y a quelque temps déjà, à l’âge de l’enthousiasme et de la détermination joyeuse, je les ai malaxées, partagées, imaginées, patinées, collectées. Le chemin a été multiple, qui a croisé beaucoup d’autres esthétiques, depuis les accords du folk rock des années 80, en passant par l’improvisation vocale, puis la polyphonie, les joutes et la monodie sur le plus simple des bourdons. Joyaux immatériels, le choix de l’interprétation de ces répertoires ne nécessitent aucune justification : ils sont là, depuis toujours, aspirant et digérant les innovations musicales et narratives, métissant les cultures, parce que portés par la vie de ceux qui les transmettent. Il est naturel qu’ils continuent leur marche de bouches à oreilles. Ils sont enracinés, non pas seulement dans un pays ou une région particulière, mais surtout dans l’existence universelle de chacun : chansons à bercer, à marcher, à tasser, à piler, à crier, à danser, à travailler, à pleurer, à raconter, à vivre tout simplement.
La rencontre avec les autres cultures est depuis toujours naturelle, et commence dès l’enfance dans un quartier ouvrier ou ma mère, chanteuse reconnue de sa rue, aimait à chanter en ukrainien et russe, aux côtés de ses amies portugaises, italiennes, espagnoles ou auvergnates. Sans oublier les chansons de la radio autour de laquelle, en été, on se retrouvait toutes pour reprendre les refrains en chœur.
Si certains parlent d’identité régionale en interprétant ce répertoire, ce n’est pas ce qui m‘a attiré au départ. Ce qui m’a surtout plu c’est l’accès direct à l’émotion, la fonction, la narration, porté par des mélodies toujours surprenantes, riches de nombreux micros-métissages.

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Comment se choisissent les chansons ?
Au-delà du regard patrimonial et ethnomusicologique, c’est un très large réservoir d’images, d’émotions, de sentiments, de formes poétiques.
Me concernant, le choix des chansons est très différent d’une année à l’autre, je change moi aussi, et ce répertoire m’accompagne dans les sentiers sinueux de la vie.
Les chansons choisies d’aujourd’hui, bien que puisées aux mêmes sources, sont très différentes de celles que je chantais à 20 ans.
Au début, je préférais les textes clairs, immédiatement compréhensibles : les chansons de mal mariées, celles de déserteur, les chansons coquines, les chansons d’empoisonneuses, celles décrivant des relations compliquées entre les hommes et les femmes.
Aujourd’hui je m’émerveille des textes qui font des « détours » et des « tiroirs », comme ci ces années passées à leur côté avaient déposé des strates plus subtiles.
Les textes sont forts, en forme de bombes à retardement, ils vous lâchent leurs effets mystérieusement, au coin d’un mot, et ce ne sont jamais les mêmes…
J’imagine des « scénarios » en collant, découpant, superposant, au gré des histoires et des envies polyphoniques. Au final, le sens peut s’être retourné, distordu, mais l’outil incontournable qui me pousse est bien le répertoire de la tradition populaire.
Je ne revendique nullement le lien avec une identité régionale, je revendique surtout la rencontre avec ces chansons, avec ceux qui les ont « passées ».

Il y a les « codes de langage » qui, lorsqu’on les connaît, éclairent le sens. Je pense à ces extraits de « Passion de Jésus-Christ dans les chansons de dépit amoureux (La nuit passée-Ardèche) surlignant l’intensité des sentiments (Je vois la mer couler, Et la terre trembler…), je souris à ces histoires ou l’on emmène les filles en bateau (filles qui, comme par hasard, changent de couleur au milieu de la mer ou de la rivière), à toutes ces bergères qui sont des femmes disponibles, je m’émeus à l’écoute des chansons d’infanticide qui nous en apprennent beaucoup sur la difficulté de vivre.

Et il y a les autres, sans cohérence apparente (Papillon sur la chandelle) qui livrent simplement des images dont le sens change à chaque fois qu’on les interprète.
Les conteurs m’ont beaucoup appris sur la compréhension des textes (Jean Porcherot notamment) car conter et chanter, c’est toujours raconter.
La magie, c’est de découvrir de nouvelles versions qui font rêver.
Dans ce monde si bien ciselé, j’y suis, j’y reste avec gourmandise.

Évelyne Girardon.

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